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Le monument au Général Alvear
Pour la commémoration de son centenaire, la jeune République argentine devait rendre hommage à l’un de ces héros de l’indépendance.
Le général Carlos Maria de Alvear (1788-1852) fut un des acteurs de l’émancipation sud-américaine auprès du général San Martin: premier président de l'Assemblée constituante des Provinces Unis du Rio de Plata, il enleva en 1814 Montevideo aux Espagnols et remporta en 1827, la victoire à Ituzaingo contre le Brésil.
A la fin 19éme siècle, Paris reste la référence intellectuelle et politique de la civilisation moderne. Le modèle révolutionnaire français , repris comme thème de l’exposition universelle de 1889 en plus de la dimension industrielle est plus qu’un exemple pour la jeune république argentine, c’est une filiation d’esprit et de cœur.
L’Etat argentin achète de nombreuses peintures et sculptures grâce à de riches collectionneurs . Le travail de nombreux artistes français de cette époque se trouve encore en Argentine actuellement : Carrier-Belleuse, Dalou, Rodin, Despiaux ,Pierre Benoit (architecte), Charles Thays (paysagiste).
L’Argentine accueille durant cette période de nombreux migrants français (250 000 personnes entre 1880 et 1910).
Enrique Larreta (1875-1961), écrivain, poète argentin et diplomate de 1910 à1918 en France où il est nommé ministre plénipotentiaire de la République argentine à Paris (agent diplomatique de rang immédiatement inférieur à l’ambassadeur). Henrique Larreta est choisi comme président de la Commission Directive du Monument au Général de Alvear.
Rodolfo Alcorta (1874-1967), docteur en médecine, appartient à l’aristocratie intellectuelle d’Argentine. Son père fut conseiller du général puis président Roca. Il fut cofondateur de l’hôpital Américain à Paris. De grande culture artistique, il délaisse la médecine pour la peinture et la recherche d’œuvres pour son pays : il achete ainsi des sculptures à Despiaux, Drivier, Bourdelle… Son épouse , Maria Rosa Mansilla Godoy, servit de modèle à Bourdelle. En 1937, Rodolfo Alcorta fût commissaire général de l’Argentine à l’Exposition Universelle.
Ernesto de la Carcova (1866-1927), peintre, il étudie en Europe. Il deviens le premier directeur de l'Académie nationale des Beaux Arts de Buenos Aires. De 1909 à 1919 il est directeur de l’Office Central des Boursiers Argentins en Europe. En 1923, il dirige l'École supérieure des Beaux-Arts.
Marcelo Tuorcato de Alvear (1868-1942), descendant du général, docteur en droit, député au Congrès national argentin à l’époque de la commande et qui devint en 1922 président de la république.
Rodolfo Alcorta a sans doute influencé la commission dans le choix de l’artiste. A cette époque, les statuaires capables de faire une sculpture monumentale étaient plutôt rares.
Rodin a appuyé la candidature de Bourdelle avant de s’éteindre en 1917. Tandis que Dalou s’est également désisté en faveur de Bourdelle et que les Argentins, de par l’amitié entre les deux pays, souhaitaient confier ce travail à un artiste français.
Les membres du comité connaissaient également, le travail de Bourdelle: la maquette du monument à Falcon (projet non retenu), les bustes et les sculptures achetés au nom du gouvernement argentin.
Signé le 1er mars 1913 entre Antoine Bourdelle et les membres de la Commission directive du Monument au Général Alvear agissant pour le compte du gouvernement de la République argentine, le contrat comprend 7 articles.
Le premier article mentionne l’engagement de Bourdelle suite à l’acceptation de la maquette. Bourdelle peut y apporter des modifications de perfectionnement mais doit les soumettre au comité .
L’article 2 concerne la composition architectonique (piédestal) et sculpturale : « le socle sera en granit rose, de 10m de haut, la statue équestre mesurera 5 m, le cheval sera levé , hennissant, le Général saluera de son chapeau la nation . Il y aura quatre allégories : la Victoire, la Force, les deux autres resteront à déterminer. La patine sera vert foncé égyptien, la fonte du bronze se fera au sable ».
L’article 3 concerne le prix : Bourdelle sera payé 250 000 F payable par cinquième.
L’article 4 concerne la livraison : le monument devra être terminé fin juin 1915. L’emballage et l’expédition seront aux frais du statuaire.
L’article 5 précise qu’une amende de 10 000F par mois de retard sera réclamée à Bourdelle.
L’article 6 s ‘assure que l’œuvre sera finie, même en cas de maladie ou de mort de l’artiste.
L’article 7 autorise Bourdelle à exposer une partie ou la totalité de l’œuvre dans des salons, à ses risques et périls.
L’amitié entre R. Alcorta et Bourdelle débute en 1908 lorsque le mécène lui achète des sculptures puis lui commande en 1910, au nom de la municipalité de Buenos Aire le monument à Raymondo Falcon , chef de la police, mort assassiné en 1909. La maquette présentée par Bourdelle ne sera pas retenue. En 1912, un courrier entre Alcorta et Bourdelle fait mention du projet de monument à Alvear. Bourdelle prépare plusieurs maquettes où les allégories sont présentées assises, puis debout.
En 1913 la maquette est acceptée, le contrat est signé. Bourdelle privilégie, pour la réalisation du piédestal, la société française Le Granit pour des raisons de patriotisme.
En 1914 Bourdelle travaille sur le piédestal, l’agrandit, le polit, le complète de 4 grandes têtes de lion. Il étudie les harnachements équestres et les uniformes de l’armée argentine.
En 1915 Bourdelle retourne à Montauban quelques mois, afin de se protéger des bombardements, réalise des études à l’aquarelle de chevaux du 20e régiment d’infanterie.
En accord avec le comité, il suspend le travail sur le monument en juillet pour le reprendre en octobre. Jean, Lucien Tisné (1875-1918), praticien de Bourdelle commence l’armature de la Victoire .
La Force et l’Éloquence sont mises à la bonne échelle. Bourdelle rencontre ses premières difficultés de logistique avec la société Le Granit.
Il évoque un travail difficile pour la Force et la Victoire : Difficulté artistique mais aussi technique, la terre gèle dans l’atelier et il faut maintenir le poêle allumé, le prix des matériaux à augmenté de 300 à 400% en raison de la guerre, notamment le cuivre.
A la fin de l’année, Gaston Henri Toussaint (1872-1946), l’un des deux meilleurs praticiens est mobilisé, il reviendra un an plus tard.
En 1916 Bourdelle informe le député Alvéar que le piédestal est prêt en attente du texte à graver. L’Eloquence doit être refaite. Tisné travaille sur la Liberté et Toussaint « met au point » (à l’échelle) le cheval. Les mouleurs moulent l’Eloquence . Le sculpteur échange des courriers avec M.Ancet, directeur du « Granit » qui se plaint de la place qu’occupent les blocs : 167 tonnes, 135 caisses d’exportation.
En 1917, Bourdelle informe M.Ancet que le comité cherche des fonds supplémentaires et qu’il recommence son travail car deux sculptures ont souffert du froid. La Liberté est finie puis moulée, la victoire est prête pour le moulage.
En 1918 Bourdelle demande un versement d’argent pour finir le groupe équestre et mouler la Victoire, le comité lui verse 50 000F et 10 000F pour chaque figures.
En 1919, Bourdelle trouve deux sociétés maritimes pour le fret.
En 1920, la société Le Granit annonce de gros frais de stockage car les blocs sont toujours chez elle et la gênent dans son fonctionnement.
En 1921, Bourdelle écrit au député Alvear pour exprimer son besoin d’argent, il a payé les ouvriers et la matière mais n’a plus rien pour vivre et doit vendre ses anciennes œuvres. De plus la somme demandée par Le Granit est très importante. Avec l’exposition de la statue équestre au salon de Paris, un groupe d’artistes lance une pétition pour demander au gouvernement français une réplique pour Paris.
En 1922, L’ambassade d’Argentine discute d’une modification du projet du piédestal. Bourdelle réalise le buste du président Marcelo Tuorcato Alvéar.
En 1923, Bourdelle demande 150 000F de plus en raison de l’augmentation des coûts. La société Davis, Turner and Cocquyt , Transports Internationaux, se charge du transport des cinq bronzes répartis en cinq caisses, soit 13,4 tonnes. Bourdelle fonde avec Albert Besnard et Auguste Perret le salon des Tuileries où il expose le monument au Général Alvéar.
L’inauguration a lieu le 12 octobre 1926, Bourdelle n’est pas présent mais rédige un télégramme.
A l’occasion de cette inauguration une médaille est commandée à Bourdelle en novembre 1926, à l’effigie du Général, frappée à la Monnaie de Paris et gravée par André Lavrillier.
Elle est réalisée en 1400 exemplaires et expédiée en 1927.
L'ensemble du monument au Général Alvear est composé d'un socle de granit de 14 mètres de hauteur. Il est entouré de 4 allégories mesurant chacune 3,72 mètres, et dominé par une statue du général Alvear en cavalier.
L'ensemble mesure près de 20 mètres.
La statue équestre se situe dans la grande tradition des œuvres de l'antiquité et de la Renaissance.
Elle est également assez éloignée du type de chevaux que montait le général Alvear et de sa manière de tenir à cheval.
Le général Alvear présenté le bras levé, les rênes tenues d'une seule main, le manteau flottant au vent comme l'antérieur levé du cheval appartiennent aux conventions du genre.
Le costume lui correspond à celui que portait le général mais Bourdelle a éliminé le bicorne, préconisé par les commanditaires mais qui lui paraissait gêner l'équilibre de sa statue.
Au nombre de 4, elles représentent : la Liberté, l’Éloquence, la Victoire et la Force.
Ces 4 allégories sont aisément reconnaissables à leurs attributs: Force porte une massue, l’Éloquence est représentée avec un phylactère et la bouche ouverte, la Liberté possède un cep de vigne et la Victoire tiens une épée.
Ces 4 figures avaient été au départ été conçues assises mais Bourdelle adopta finalement des modèles debout pour renforcer la verticalité du monument.
La figure de la Liberté a pour modèle une jeune paysanne du Quercy mais ces allégories sont surtout marquées par l'influence de l'art grec archaïque et de certaines œuvres de Michel-Ange. Conçues pendant la Première Guerre mondiale, la Force et la Victoire deviennent pour Bourdelle des allégories de la lutte contre l'Allemagne.