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Le bronze en majesté

Lourd, pérenne, solide : le bronze a toujours été un des matériaux les plus utilisés dans la sculpture et ce, depuis l’Antiquité. Son entretien est a priori simple : une couche de cire passée occasionnellement. Les apparences sont pourtant trompeuses : c’est un patrimoine fragile, surtout lorsqu’il est exposé en plein air. C’est le cas au jardin-musée Bourdelle. Voyage au pays de la restauration...

Un peu d'histoire

Une technique millénaire

Le bronze, au même titre que les métaux usuels que sont le cuivre ou le fer, a été employé dès 3 000 ans avant Jésus-Christ. On en a notamment retrouvé des traces (armes, figurines…) en Mésopotamie et Anatolie. Le bronze est un alliage de cuivre et d’étain avec une plus forte proportion de cuivre que d’étain. En Amérique du Nord, le pourcentage de cuivre peut aller jusqu’à 95 % : ce qui donne un bronze beaucoup plus dur, héritage de l’aéronautique américaine ! De façon générale, c’est la composition de l’alliage, l’accroche de la patine et son vécu dans le temps qui déterminent la couleur. Mais dans tous les cas de figure, c’est le fondeur qui donne au bronze sa qualité finale. Ce qui a fait dire à certains que le fondeur « était la troisième main » du sculpteur. Le point de fusion du bronze est de 1000 C°. La fonderie contemporaine n’a rien inventé : seuls les matériaux et l’outillage ont changé, le principe demeurant le même. Moules en pierre réfractaire ouverts ou fermés, technique de coquille à la cire perdue : il s’agit toujours de faire d’un négatif en terre, plâtre ou cire fourni par le sculpteur, un positif en bronze obtenu après refroidissement.

Un patrimoine fragile

Un matériau altérable

Une simple manipulation à main nue peut en augmenter l’oxydation ! Alors, exposé en extérieur, le bronze forcément vit, vire, change. Réaction chimique à la pollution, aux débris végétaux (petites feuilles, pollen), aux fientes d’oiseaux, et bien sûr, aux intempéries… À terme, l’œuvre, irréversiblement, se dégrade. Au-delà des coulures verdâtres que l’on observe sur tant de monuments commémoratifs, au-delà des premières traces d’oxydation, le matériau peut être corrodé en profondeur, empêchant toute lecture de l’œuvre. Ce, d’autant plus que les insectes et les champignons aiment à se loger de façon invisible dans les bronzes creux, et que les armatures à base de métaux ferreux de certaines statues peuvent être elles-mêmes fragilisées par le temps.
Bref, afin d’assurer une bonne conservation du bronze et une lecture de l’œuvre cohérente, la restauration s’avère toujours, à un moment donné, une étape nécessaire. C’est un enjeu autant patrimonial qu’esthétique...
Laisser faire « naturellement » le temps, serait à terme condamner les sculptures. Chose inimaginable dans le cas du jardin-musée d’Égreville : 56 bronzes, posthumes mais originaux, du célèbre sculpteur, sont ici exposés en plein air. Depuis 1967 - date des premières installations des statues - le temps a passé : elles sont toutes aujourd’hui à restaurer...

Le bronze en question :

  • Qu'est ce qu'un bronze «original » ?
    C’est une épreuve en bronze tirée en nombre limité : soit 8 exemplaires maximum commercialisables et 4 épreuves d’artiste hors commerce. Impératif : la dimension avec le modèle en plâtre ou en terre ayant servi à la réalisation du moule doit être identique.
  • Qu'est ce qu'un bronze «posthume » ?
    C’est une épreuve réalisée après la mort de l’artiste par ses ayant-droit.

Main dans la main

Une restauration exeptionnelle

C’est une première pour le Conseil général que cette restauration exceptionnelle. Quatre restaurateurs diplômés travaillent de concert depuis la mi-avril. C’est Anne-Cécile Robert qui dirige l’équipe composée également de Denis Chalard et Géraldine Aubert. En tout, 140 jours de traitement de surface ont été prévus, comprenant notamment deux couches de cire sur chaque œuvre. Mais tout commence bien avant la phase de restauration elle-même. D’abord, il s’agit de faire des choix techniques et artistiques en termes de revêtement protecteur, de sablage et de pigmenta- tion . Ensuite, il faut simplement « organiser » le chantier, ce qui suppose une préparation très en amont. Anne-Marie Geffroy, restauratrice, en sourit : « Le métier de restaurateur est pour cela assez complet ! Préparer nos produits, commander et réceptionner le matériel, monter, démonter et remonter les échafaudages, font aussi partie du jeu. Ici, il y 56 statues à restaurer. Certaines sont monumentales comme la statue équestre du Général Alvear. D’autres, atteignent jusqu’à 8 mètres de haut : c’est le cas de la statue représentant la France ! ».

Des contraintes multiples

Des travaux planifiés

Mais il faut savoir intégrer encore d’autres contraintes. S’il est évidemment impossible de déplacer les œuvres, il est difficile de travailler quand il pleut ou lorsqu’il fait trop froid : le sablage et le cirage des statues deviennent alors impossibles. C’est pour cette raison d’ailleurs, que le planning de restauration suit naturellement celui d’ouverture du musée. On travaillera aux beaux jours. On réservera le travail de sablage qui génère bruit et poussière, aux lundis et mardis, jours de fermeture du musée. Le cirage et le travail de restauration seront plutôt décalés sur le restant de la semaine. Ce d’autant plus, qu’il est préférable de ne pas sabler et cirer dans le même espace et le même temps, sous peine d’empoussiérer la cire !

Stratégie de restauration

Un circuit de restauration pensé en fonction du public

Au-delà de ces premières contraintes, le circuit de restauration a été pensé en fonction de plusieurs critères – le premier d’entre eux étant la demande et la typologie du public.
Anne-Marie Geffroy explique : « Nous avons commencé par les sculptures-clés : les plus célèbres comme Héraklès archer, située à l’entrée du jardin, ou les plus sollicitées lors des visites commentées. Je pense notamment à la France, devant laquelle s’arrêtent longuement les publics scolaires. » Un circuit déterminé avec Hervé Joubeaux, conservateur du musée, mais parfois remis en cause par le calendrier… des plantations !
Il aurait été ainsi logique de restaurer rapidement la statue équestre du Général Alvear figurant en bonne place dans le magnifique jardin du musée. Il s’agit, en effet, d’un ensemble monumental sur lequel Bourdelle a travaillé pendant 10 ans. Entouré de la Liberté, de la Victoire, de l’Éloquence et de la Force, cette statue est située au centre d’un parterre particulièrement soigné et fleuri. Si les quatre allégories sont déjà restaurées, le Général, lui, attendra qu’un moment plus propice à la pose d’échafaudage se présente !

Changement d’habitude

Un aspect neuf

Mais la principale contrainte à laquelle se heurte souvent la restauration de ce type d’œuvres, est d’un tout autre ordre.
Hervé Joubeaux explique : « Le public – comme nous tous du reste ! – est habitué à voir les statues en milieu urbain, les monuments aux morts, etc., subir lentement mais sûrement les outrages du temps. Les coulures vertes et l’érosion font partie de notre paysage. Les modelés s’effacent mais on finit par trouver ça normal… À partir de là, voir un bronze restauré peut choquer certains. La réaction alors, est de dire « mais ça fait neuf ! ». C’est pourtant cet aspect qu’avait voulu le sculpteur, en accord avec le fondeur et le patineur... Le travail de restauration passe dès lors par un travail pédagogique envers le public, notre rôle étant de faire évoluer les représentations ».

Glossaire de l'entretiens et de la restauration

  • Sablage : procédé mécanique de décapage, c’est-à-dire de mise à nu de la surface du bronze pour éliminer les traces de corrosion pulvérulente voire, les anciens revêtements. De fait, c’est le restaurateur qui, à la lumière de son expérience, décide « où et quand s’arrêter ». Le sablage utilisé dans le jardin-musée Bourdelle est fabriqué à partir de noyaux d’abricots - un abrasif très doux… et bio-dégradable !
  • Pigmentation : une fois l’œuvre sablée, la démarche de restauration esthétique peut commencer. Des pigments naturels sont éventuellement mélangés à la cire protectrice. C’est une étape artistique, pensée conjoin- tement par le restaurateur et par le conservateur des œuvres. Il s’agit de déterminer si certaines zones, particulièrement dégradées, nécessitent d’être rééquilibrées au niveau visuel, par rapport au restant de l’œuvre et, bien sûr, jusqu’à quel point. C’est ainsi que certains effets de coulure peuvent rester visibles, volontairement, même après restauration.
  • Revêtement protecteur : s’il existe des vernis protecteurs, la France, pays tempéré, utilise de préférence, comme c’est le cas au jardin-musée Bourdelle, une cire minérale micro cristalline. C’est une cire translucide et inerte, chimiquement parlant. Elle est souple et « accroche » bien. Utilisée sur une œuvre non décapée, elle protège la patine naturelle tout en la fonçant légèrement.
  • Patine naturelle : conséquence de l’interaction du métal avec son environnement. C’est une patine involontaire, une atteinte du temps.
  • Patine artificielle : attaque chimique du bronze créant une corrosion de surface afin de créer une couleur. C’est une patine volontaire et maîtrisée intervenant au stade de la finition de l’œuvre.
  • Réversibilité : caractéristique du revêtement protecteur - revêtement qui peut être enlevé sous l’effet d’un solvant. L’œuvre est ainsi facilement « retrouvable».

Dossier extrait du Patrimoine actualités n°11 (Lettre d'information de la direcion des archives, du patrimoine et des musées du Conseil général de Seine-et-Marne).

Contributeurs : Virginie Durand, Anne-Marie Geoffroy et Hervé Joubeaux.